Une autre nouvelle : Ici c'est comme un rêve

Suite aux encouragements bienvenues de Romain, je commence par un peu de recyclage.
Cette nouvelle a été publiée dans le numéro 2 de Zymase.


Le thème était "la lettre". Pour la petit histoire, ce thème pas très folichon viens recadrer la ligne éditoriale du fanzine, une manipulation électorale ayant fait passer le thème "Les légumes" pour le numéro d'avant...(enfin on s'était bien amusé pour le coup)



Ici, c’est comme un rêve

Cette phrase revenait sans cesse dans la tête de Nora. Elle avait lu hier soir la troisième lettre que son grand-père lui avait envoyée de « là-bas ». Ou plutôt de « Là-Haut ». Car son grand père était mort il y a deux ans. Or depuis quelques temps, environ un an, les morts s’étaient mis à écrire et certaines personnes avaient reçu des lettres de leurs défunts. Personne ne comprenait ce qu’il se passait vraiment…La Poste avait réagit assez tardivement. Son service marketing avait essayé de rattraper le coup en présentant la chose comme un nouveau service. «Ciel’Post, keep in touch ! » qu’ils disaient.
La première lettre que Nora reçue était calligraphiée. Son grand-père disait que tout allait bien, et qu’il était entouré d’anges. Ces derniers, tout en blanc, s’occupaient bien de lui. Ils étaient gentils mais un peu insistants, donnant sans cesse des recommandations, vous laissant finalement peu de libertés. La lettre était assez décousue, le grand-père passant brusquement d’un sujet à l’autre. Dans sa seconde lettre, celle-ci tapée à la machine à écrire, le grand-père se plaignait du fait que Nora ne lui écrive pas plus souvent. Mais comment ? Depuis la découverte du phénomène, de nombreuses études concernant les lettres avaient été menées. Ainsi, il était apparut que ces fameuses lettres pouvaient surgir à n’importe quelle étape du tri et de la distribution. Ces dernières avaient toutes la même enveloppe blanche entourée d’un frise noire aux motifs étranges. Le timbre, d’un goût quelque peu douteux, était à l’effigie d’une Marianne squelettique, ou plus rarement de personnalités défuntes tout aussi cadavériques. Comme quoi Là-Haut aussi on avait de l’humour…Evidemment, beaucoup avaient essayé de répondre aux lettres des morts, mais sans succès. Quelle adresse indiquer ? Devait-on les poster comme des lettres classiques ?
Il devait y avoir un truc. Nora fit de nombreuses tentatives, usant de papiers spéciaux, écrivant des adresses diverses. Paradis, Ciel, Enfer, Purgatoire, Limbes, Nirvana, Val hala, Eden, château dans le ciel…Cela pris un temps fou mais aucun lieu mystique ne fut oublié. En plus d’utiliser les boites jaunes de la Poste, elle jeta des lettres à la mer, en enterra, en brûla. Elle en a même mangé quelques-unes, sait-on jamais. Seulement à moins d’espacer leur envoi de plusieurs semaines, comment savoir en cas de réponse quelle lettre est arrivée (en espérant que Papy réponde vite…) ? Nora prit donc soin de terminer chaque lettre par une question différente. As-tu des amis ? Qu’est ce que tu manges ? Est-ce qu’il fait beau là-haut ? On manque bien vite d’inspiration quand on doit poser des centaines questions bien distinctes. Nora décida donc de demander tout simplement « Est-ce que tu as croisé X ? », X étant une personne différente à chaque fois. Des semaines passèrent, sans réponse. Nora ne voulait pas renoncer et elle envoya une nouvelle série de lettres. Il fallait peut-être recopier cette fameuse frise qui bordait les lettres des morts, où en faire une particulière. Alors qu’elle entamait sa quarantième frise, le facteur apporta enfin une nouvelle lettre de son grand-père. Elle l’ouvrit fébrilement. Son grand père était content d’avoir enfin de ses nouvelles. Par contre, il n’avait pas croisé ce Jim Morrison dont elle lui parlait. Jim Morrison ! Elle se souvenait avoir mis ce nom sur une lettre quand elle avait essayé diverses adresses. Quarante frises et une indigestion pour rien ! Méthodique, elle avait noté à part la destination des lettres selon la question posée. Et elle vit d’après ses notes que la lettre avec Jim Morrison avait était envoyée de… « Là-Haut » ! Et cette fois, elle n’était ni manuscrite, ni tapée à la machine, mais carrément imprimée en Arial taille 12 ! Nora commençait à trouver tout ça un peu louche. Que la seconde lettre ait été tapée à la machine ne l’avait pas étonnée, sur le coup. Papy, alors qu’il était encore en vie –concept semble-t-il démodé - tapait toute sa correspondance sur une vieille machine de l’avant-guerre. Mais en y pensant, pourquoi était-il plus choquant pour un mort d’utiliser un ordinateur qu’une vieille machine ? Et la première lettre, n’était-elle pas écrite à la plume et à l’encre ? C’est tout aussi inconcevable ! Et pendant qu’on y est, pourquoi ne pas passer un coup de…DRINGGGGGG !
Le téléphone venait de sonner. Nora sentit son ventre se nouer. DRRRIINNNGGGG !!! Ca pouvait être n’importe qui après tout...un vivant par exemple. DRRRINNNGGG !!! Seulement son téléphone ne sonnait pas comme ça. Pas cette vieille sonnerie de téléphone à cadrant. DRRRINNNGGG !!! Elle devait décrocher. DRRIINNGGG !!!
-Allo ?
-SCROTCH !...BIP ! BIP ! BIP !
La personne qui appelait venait juste de raccrocher ! Et le numéro de l’appelant était caché ! Nora appela son opérateur. Selon eux, le dernier coup de fil entrant datait de la veille. Il se passait quelque chose, Nora en était certaine. La dernière lettre l’aurait presque fait douter, mais ce coup de téléphone, surtout son improbable sonnerie, les choses évoluaient. Elle balaya de son esprit l’image de rues remplies de morts-vivants. Après tout, une fois que le rationnel fout le camp, tout peut arriver…On savait qu’ils envoyaient des lettres, et maintenant ils semblaient pouvoir téléphoner, à quand le chat en direct par messagerie ?
Il était temps d’écrire une nouvelle lettre à grand-père. Ce dernier, dans ses lettres, ne semblait pas se soucier de l’étrangeté de la situation. Quitte à le choquer un peu, elle aborda frontalement la question dans sa lettre. Elle lui indiqua aussi son adresse de messagerie, au cas où. Tout semblait écrit comme sur du papier à musique, et elle reçu une réponse par mail le surlendemain. Et l’adresse de l’expéditeur n’était pas disponible.

« Chère Nora,
Les choses me dépassent. Je serais bientôt avec toi.
Je t’embrasse,
Papy »

C’est à ce moment là que Nora lâcha prise avec le sens commun. Elle avait totalement accepté l’invraisemblable, et commençait à ranger son appartement, certaine que son grand-père allait bientôt lui rendre visite. Il faudrait aussi lui faire à manger, Nora devait donc faire quelques courses. Elle enfila son manteau et pris un sac à provisions. Son estomac se noua quand elle sentit le contact avec la poignée de la porte d’entrée. Son grand-père pouvait très bien se trouver juste derrière. Elle ouvrit la porte, et fut presque surprise de ne trouver personne. Nora avait de plus en plus de mal à garder les pieds sur terre. Elle marchait en direction d’une épicerie, et dévisageait les passants. Elle espérait peut-être croiser son grand-père, mais elle avait surtout besoin de voir des gens « vivants », comme pour raccrocher la réalité. Alors que toute son attention était focalisée sur une silhouette à quelques dizaines de mètres, elle traversa la rue. Un bruit de klaxon et de pneus qui crissent, un choc, le ciel qui défile, rideau.

Nora reprend conscience. Elle ouvre progressivement les yeux. Autours d’elle, des anges. Elle tourne doucement la tête vers la gauche. Son grand-père est là, dans un lit, le regard mi-vide, mi-affolé. Deux anges s’approchent de lui. Il les regarde avec de grand yeux. L’un d’eux le regarde longuement, puis dit :
«Pauvre homme, son Alzheimer a encore progressé… »